dimanche 21 novembre 2010

"Madame, hé, Dis moi madame, c'est toi la pute?"



C'est au moment où ta tête heurte le mur que je relève mon museau pour te livrer des lignes qui n'auront aucun sens.



Je débarque à l'heure ou la piste se vide, il ne reste que des bouts de verres brisés et une fille qui somnole sur un fauteuil; la fête est finie et tout le monde rentre chez soi.
Il me faut un taxi, j'ai mal au crane et des relents de mauvaise vodka au fond de la gorge.
J'ai bien eu le taxi au téléphone, mais je vais devoir attendre au moins vingt minutes avant de pouvoir me blottir sous la couette... Enfin, c'était sans compter sur la nana endormie, qui soudainement parfaitement éveillée me demande si on peut partager le taxi, je ne sais pas si c'est ma parano de fin de cuite, ou la pitié mais, j'accepte.
C'est vrai que cette nana fait peine à voir : l'oeil trempé, une mine défaite, et un rouge à lèvres trop voyant; on peut accorder au Barman ainsi qu'aux quatre pelés au fond de la salle qu'elle fait vulgaire; on a pas toutes du goût, ni les mêmes moyens.
Naturellement, nous venons à discuter, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle a besoin qu'on l'écoute. C'est triste, pourtant j'aurais tout donné pour ne pas être l'épaule compatissante de ce soir. Les gens m'emmerdent ces derniers temps, et j'aimerais bien que le Barman cesse de nous dévisager...
Cette fille fait de plus en plus mal au coeur. Si j'ai bien compris son histoire, son mec viens de la quitter après un an passé à dévorer ses maigres économies. Elle tiens à peine sur ses jambes, alterne fou rire et torrents de larmes comme perdue dans une autre dimension. La situation a définitivement cessé de m'ennuyer, et j'ai hâte de sortir d'ici.
J'essai de la rassurer, lui promet que bientôt nous seront chez moi, au moins pour être au chaud et confortablement installées, avec mon sourire timide et mes longs cheveux je lui inspire confiance, d'ailleurs on ne me refuse jamais rien, je trouve ça stupide, j'ai l'air d'une gentille petite nenete, mais qu'est-ce qui prouve que je suis quelqu'un d'équilibré après tout?
Bon en réalité, je suis une meuf sympa et me mets à sa place: j'aimerais bien tomber sur quelqu'un de compatissant si j'étais dans sa situation.
En attendant le taxi qui mets beaucoup de temps à arriver, je demande de l'eau au Barman et allume une cigarette, ses regards deviennent inquisiteurs. « Et là, c'est le drame. » vous avez le droit de rire, mais je n'ai pas pu m'empêcher d'ouvrir ma foutue bouche. je lui demande alors si cela pose un problème que l'on attende à l'intérieur.
Sa réponse fut loin d'être ce à quoi je m'attendais, car le plus naturellement du monde ce monsieur s'écria : « j'voit pas pourquoi vous vous emmerdez mademoiselle, On dirait une pute c'te fille! À moins que vous ne soyez vous aussi... »
Mon sang ne fit qu'un tour, tout en me retenant de lui mettre mon poing dans la figure, ( et son mètre quatre vingt peut être...) mais pour qui il se prend celui là! Il insulte la pauvre nana à coté de moi, et il m'insulte aussi, mais où sommes nous?
Et puis c'est quoi au juste « une pute » ? Alors justement, je lui pose la question. S'ensuit une discussion que le décence m'empêche de retranscrire, sachez simplement qu'elle fut assez animée pour que notre gaillard devienne blanc, s'excuse, et que son patron vienne lui filer un savon au moment où nous grimpons dans notre taxi.

Bilan de la soirée à mi-chemin :
Les mecs sont tous des cons, j'ai une inconnue qui va dormir sur mon canapé et j'ai toujours mal au crane.

Arrivée chez moi je fais bouillir de l'eau afin de préparer du thé et nous nous installons dans le salon. C'est à ce moment là qu'elle me demande :
- «Tu trouves que j'ai l'air d'une pute? Je sais, ma robe ne me donne pas une allure très distinguée mais en même temps aller me traiter de pute je trouve ça fort!
aujourd'hui pute est un mot qu'on entend tout les jours, j'ai du moi même le sortir des milliers de fois; mais ça ne correspond plus à rien, non? Où alors ça correspond à trop de choses en même temps?
Qu'est ce que c'est être une pute pour toi?
-Ben tu sais, c'est plutôt difficile de te répondre, alors je vais tenter de faire court.
Moi, j'adore les prostituées, depuis toujours, je les respecte parce qu'elles exercent le plus beau métier du monde, et elles seules savent le faire.
Je ne parle pas d'une ado russe sur un périph', elles ce sont des esclaves, purement et simplement; je parle de celles et ceux qui vendent leur corps, comme certains vendent des vêtements; ces gens qui acceptent, assument. Beaucoup d'entre nous n'ont pas d'avis sur elles, je dirai même que la plupart s'en foutent éperdument. Je comprends quelquepart, on est jeunes, beaux, le monde nous appartient, et quoi qu'il en soit, « des meufs qui se conduisent comme des putes » On en croise dix fois par jour, rien qu'à la fac, non? Mais quelle est la différence entre les deux ?
Certes, il y en a une que l'on paie, mais encore? Quand on parle d'une pute, on juge un comportement, une manière de se vêtir? Un langage? Une fille qui n'a pas de mec fixe, On la traite de pute aussi, n'est ce pas ?Je ne dis pas que les filles qui couchent librement sont des « putes », on est en 2010, je crois que nous sommes encore libre de faire ce que nous voulons de nos corps. Le mot lui, il est toujours utilisé. Une briseuse de couple, on l'a qualifie de « pute » aussi non?
On passe notre temps à prononcer des mots à torts et à travers. Sur quels critères peut on qualifier une quelconque femme de « pute » seulement en l'observant quelques minutes? Qu'est-ce qui différencie au simple coup d'oeil,la Sainte de la Salope?
Entre les femmes que la Loi de 2003 tente tout simplement d'exterminer « naturellement » et des gamines que la société n'assume pas parce qu'elle reflète simplement le modèle qu'elle nous a donné, que reste-il?
Je n'entend que des mots mal choisis, et des filles qui rêvent de s'exploser le crane contre un mur parce que rien ne semble leur appartenir.
Les travailleuses et travailleurs du sexe existent, les filles paumées réfléchissent, le chômage et la précarité se font entendre et les retraites soulèvent les opinions quoi que l'on en pense...Le monde tourne, les Hommes avec et tout le monde s'en fou.
Ado tu écoutais Placebo en répétant à tue-tête « A friend in need is a friend indeed... » sans jamais en saisir le sens; aujourd'hui tu es une adulte et te sens toujours aussi stupide. Tu as raison et moi aussi, la preuve, je dit encore ce genre de ramassis de conneries.
-Des mots mal choisis, c'est exactement ça. Les gens sont des cons et ma vie, sans entrer dans les détails est proprement à chier.Au départ je voulais devenir une chouette fille, je ne me rappelle pas vraiment du moment où tout s'est mis à foirer. En tout cas c'était sympa de te croiser, t'as l'air d'une fille sympa, et heureusement pour moi : tu l'es. Je sais que nous ne nous reverrons jamais, alors je te remercie pour le thé et le reste, je dois m'en aller maintenant; j'ai une quantité de choses à régler. »

Elle disparu dans les premières lueurs de la ville qui s'éveille, dans un taxi dont la destination me fut inconnue. Je n'entendis plus parler d'elle jusqu'au jour où quelques lignes dans un quotidien régional m'annoncèrent qu'une jeune femme avait été trouvée sans vie dans une chambre minable; la photo ne laissait aucun doute possible. Le temps faisant son oeuvre, j'ai laissé cette histoire dans un coin de ma mémoire, mais je repensait souvent à la fille de la boite de nuit, que je rêvait souriante, juchée sur des talons immenses, amusée parce que la rue entière avait les yeux rivés sur elle.
Je n'ai jamais rien su de ses aspirations, de ses influences, de son passé, de sa mémoire. Qui sait, j'aurais peut être pu faire quelque-chose pour elle? Elle ne m'avait même pas donné son nom...
Sinon il y a cette question qui me chahute :
Bon Dieu mais c'est quoi alors une pute?

1 commentaire:

  1. Pute de vie, émotions amputées. Je suppute que t'as pu te faire à l'idée qu'elle était morte?

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