dimanche 24 octobre 2010

.THEY WERE THERE.





Une simple question d'argent… C'est ainsi que tout a commencé.

J'avais dix-huit ans à peine et venais de décrocher le Bac, précieux sésame ouvrant les portes des études supérieures. Des rêves plein la tête et des étoiles plein les yeux, j'ai simplement voulu croire que la vie serait plus tendre avec moi. Fille cadette de la petite famille bourgeoise française de base, vivant au dessus de ses moyens, vouant un culte au crédit à la consommation. Je fus une adolescente ordinaire, peut-être un peu rebelle, passant ses nuits à lire et à chiller en cachette.
Rien ne me prédestinait donc à basculer, si ce n'est cette angoisse de l'huissier venant débarrasser la jolie maison de l'essentiel de son contenu.
Passons donc les affres de mes relations amoureuses désastreuses, et les amis qui n'en sont pas, je ne suis pas ici pour vous raconter ce chapitre-ci. Non, vous; vous voulez connaitre les détails de la naissance du monstre le plus joli de l'histoire du crime : du sang, du sexe, de la sueur et des liasses de billets par centaines.
La réalité est pourtant d'une banalité affligeante : Zillah ou l'histoire de la petite fille qui avait peur de manquer d'argent. C'est ainsi que l'idée m'est venue, évidente et pourtant improbable. Je me rappelle de ce mec rencontré lors d'un voyage il y a quelques mois, qui à l'issue d'une bagarre, m'avait proposé de travailler avec lui pour "réclamer ce que l'on doit à son patron" ou quelque chose comme ça.
Armée de maigres économies et d'une valise pleine à craquer je me dirigeais vers la ville de l'anonymat et du " Cash in hand" pour un rendez-vous particulier. Je devais effectuer devant mes futurs employeurs une sorte de journée d'essai, si l'issue se révélait favorable, nous parlerions honoraires,fréquences des missions, et tout ce qui suit…
Rendez-vous dans un vieil immeuble, où dans la pénombre un homme me tend un sac, et me demande de le suivre jusqu'au dernier étage. J'enfile le tablier qui se trouve à l'intérieur. L'homme me regarde d'un drôle d'air, et j'aperçois d'autres personnes assises au fond de la pièce où nous nous trouvons. Ce soir là, et pour la seule et unique fois, je ressentis la peur; celle de finir au fond d'une cave, ou en morceaux dans la Tamise.

L'homme qui m'avait donné le sac désigna une table :
"Maintenant gamine, c'est à toi. Une seule contrainte : ils doivent tous entrer dans les sacs là-bas. Bonne chance".
Il souriait, l'air franchement amusé, ce que je pouvais aisément comprendre à ce moment de l'aventure, cependant, la confiance vint assez vite. On me demanda si j'avais des exigences particulières; je demandais une seconde table, deux bâches, un crochet au plafond, des seaux, un gorille pour me servir de porteur et de quoi jouer la musique de mon Ipod assez fort. Ces messieurs voulaient voir de la boucherie, j'allais leur offrir de l'art. Je n'ai jamais su si ces hommes avaient vraiment commis quelconques fautes, ou s'ils avaient été choisis au hasard, j'eus également beaucoup de mal à comprendre pourquoi on allait me payer à découper ces mecs en présence des commanditaires, ni pourquoi ils me les amenaient sur un plateau. S'en était presque trop beau pour être vrai, pendant quelques secondes, je songeais a mon inconscience, à l'impossibilité de rebrousser chemin.
Il était bien trop tard, rebrousser chemin aurait été du suicide.

J'allais à la rencontre de la première table, observa le jeune homme attaché et conscient en chaussant mes gants. J'ouvris mon sac et en sortis une seringue, injecta une dose de paralysant à l'heureux élu pour être le premier sur la liste. J'avais déjà une certaine expérience en la matière : oubliant régulièrement d'aller à la fac, je m'étais dégoté un job dans un abattoir. Bien entendu, ma carrure m'empêchant de porter des poids trop lourds, je fut employée pour la saignée, les découpes et éviscérations. Ce fut loin d'être aussi violent que ce que vous pouvez imaginer… J'aimais vraiment ce job : déstressant, salaire plus que correct et source d'enseignements.
Ici, je me sentais grisée, j'allais faire le même type de boulot, certes à des êtres humains mais pour une somme extravagante. Était-ce si horrible que ça de m'offrir les moyens de vivre mes rêves? Je ne me sentais pas folle, ni même sous le coup d'une horrible pulsion; n'ayant simplement rien à perdre, j'étais venue ici pour gagner.
On accrocha pour moi le premier homme au crochet, ainsi situé au dessus d'une table bâchée, le travail serait plus facile.
La musique retentit dans la pièce, le sang jaillit de la carotide de notre première victime, laissant quelques taches sur la bâche avant de s'écouler dans un seau. Pendant qu'il se vidait de son sang, j'endormis les autres, exécutant la même opération. Trois fois. L'excitation était palpable dans l'air, l'espèce de gorille du début louchait en ma direction, une terrible expression sur le visage lorsqu'il accrochait un nouveau corps.
J'entendis des exclamations s'élever du fond de la salle. Le public semblait apprécier, tant mieux, moi en tout cas, je m'amusais bien. La scie et le scalpel semblaient les fasciner, le tas de sacs à mes pieds grandissant, quant à lui, imposait un silence quasi religieux.
J'étais une artiste et ma première se révélait être un succès, le rouge me montait aux joues, malgré l'incertitude au sujet de la suite des événements.

Une fois le travail terminé, celui qui semblait être le boss vint à ma rencontre, me remerciant pour mon "incroyable prestation" me laissant lorgner les liasses de billets à l'intérieur du sac qu'il me destinait. C'est ainsi que notre incroyable collaboration commença. Je crois pouvoir dire que cet homme fit de moi une personne accomplie, et, fait surprenant, bien dans sa tête. Cet homme s'appelait Z… C'est par respect et admiration que je devins Zillah.
Pour la première fois de ma vie, on allait me faire totalement confiance, on me chargeait de responsabilités, j'allais diriger une petite équipe, et toucherait un salaire absolument scandaleux pour un volume horaire relativement très réduit. Si j'avais apprécié mon job dans le petit abattoir de ma ville de province, j'adorais celui de tueur à gages, enfin c'est le terme qui s'approche surement le plus du poste que j'ai eu l'occasion d'occuper lors de cette période.
Je n'ai jamais ressenti le moindre regret, ou sentiment de culpabilité, pourtant, contrairement aux idées reçues, je n'ai jamais eu d'orgasme en tranchant une gorge. N'en déplaise à beaucoup de mes congénères, je n'ai pas ressenti le besoin de conserver de trophée : pas la moindre goutte de sang, aucune mèche de cheveux, ni même un oeil ou une langue. je dois avouer que les viscères dans du formol n'ont jamais fait partis de mes objets de décoration favoris. Je ne suis pas une malade sadique, et mes seules obsessions sont la propreté et l'abondance de livres dans ma bibliothèque. De plus, les trophées finissent toujours par se muer en preuves à charge lors du procès…Autant ne pas offrir ma tête sur un plateau.

Mes patrons furent relativement nombreux, même si la priorité concernait toujours les contrats venant de chez Z.
Il n'aura existé qu'un seul témoin de mes agissements, une seule trace des crimes que j'ai pu commettre. Combien de personne ont pu passer entre mes lames? Qui étaient ces personnes? Mon équipe elle même ne saurait vous le dire, de toute façon, à l'heure actuelle, je n'ai aucune idée d'où ils peuvent se trouver. L'un portait des corps emballés, l'un nettoyait, l'autre conduisait; l'argent liquide et le pur malt faisaient le reste, sans questions, sans soupçons. J'aurais pu tuer leurs propres mères sans qu'ils s'en aperçoivent.
Lui seul savait, lui seul sait, lui seul saura : Ils sont tous passés entre mes mains expertes, ont connu le poison, le tranchant du scalpel. Je n'ai jamais rien connu de leurs vies. Je ne saurai vous dire s'ils étaient mariés, fidèles, dérangés, dangereux, innocents, coupables, victimes ou quoi que ce soit d'autre. Ils étaient là, chaque semaines. Je ne me souviens pas de tous les visages mais tiens à commémorer leurs noms, au moins leur en donner un car ils étaient là. Un peu par respect pour eux, beaucoup pour ce que j'ai su accomplir.
Ne cherchez pas à comprendre ces degrés de la psychologie humaine qui n'existent pas, ne venez pas faire une légende de ce qui n'est qu'HISTOIRE.
Il fut le seul à regarder mon visage de face, sans masque, sans capuche, sans maquillage, lui qui ne connu que la poussière de la ville, les trombes d'eau, les gaz d'échappements et les anonymes constamment pressés. Je prie pour le savoir toujours debout aujourd'hui.
Pourtant, ils étaient là, ils ont toujours été ici, il suffisait de savoir lire… Nonchalamment écrits à la craie, ils y figuraient tous, que cela soit un sobriquet, ou le prénom choisis lors de leur baptême. Ils étaient là, étalés sur un mur, aux yeux de tous, aux yeux de personne.

Un mur de plus tagué par de jeunes vandales? Des enfants s'amusant en allant prendre le bus?
Rien de plus que l'indignation de personnes âgées en colère par pur devoir. La pluie et le pollution firent le reste. Personne ne songea à venir nettoyer, comme personne ne prêta attention aux noms venants s'ajouter de temps à autres. De toute façon qui s'en soucierait?
Si vous lisez ceci, c'est surement que le mien y a été rajouté, comme l'exprimait clairement le testament de quatre phrases rédigé le jour ou je fus engagée.
"Les noms sont là.
Ils y étaient, depuis le début, et je voudrais que mon nom figure sur ce mur lorsque je viendrais à disparaitre. Je me contrefiche de mes biens, faites-en ce que bon vous semble; alors Zillah ne sera plus. Jamais."

Rien de plus.
J'ai caché tout un tas de choses, pourtant, je n'ai jamais menti à ce sujet :
"Ils étaient là" et ils y resteront…Jusqu'à ce que le béton nous sépare.



E.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire